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Contre la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires Pour la défense de l’unité de la République

Exposé de Jean-Sébastien Pierre, Président de la Libre Pensée à la Rencontre nationale du 10 mai 2014 à la Bourse du Travail Contre la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et Pour la défense de l’unité de la République
Chers camarades, chers amis, citoyens,
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Jean-Sébastien Pierre
Il y a presque quinze ans, le 30 janvier 1999, beaucoup d’entre nous étaient déjà réunis ici même, sur le même sujet. Cela ressemble à l’œuvre d’Alexandre Dumas qui faisait suivre « Les trois mousquetaires » de « Vingt ans après ». Comme on dit d’aprèsHorace, « bis repetita placent ». En l’occurrence, cela ne nous plait guère, puisqu’il s’agit de la Charte Européenne des langues régionales et minoritaires.
- 5 novembre 1992 : adoption par le Conseil de l’Europe, sous l’influence de la FUEV, ou UFCE, principal rédacteur de la charte qui constitue le sujet de la réunion de ce jour. Le processus de signature et de ratification par les états commence.
1995 : adoption par le Conseil de l’Europe de la Charte de Protection des Minorités Nationales.
1999 : Président de la République, Jacques Chirac ; premier ministre, Lionel Jospin.
1999 : manifestation contre la charte, à l’initiative de la Libre Pensée.
2000 : colloque national à Nantes sur les langues régionales et minoritaires et les mouvements qui demandent des mesures en leur faveur.

A l’origine de la charte européenne des langues régionales et minoritaires

(Föderalistische Union Europäischer Volksgruppen : Union Fédéraliste des Communautés Ethniques Européennes / U.F.C.E.) La FUEV citation du GRIB (Groupe Information Bretagne) : « Cette organisation revendique clairement et fièrement sa filiation avec le « Congrès des nationalités » d’avant-guerre (1925-1938) qui se tenait à Genève dans le cadre de la S.D.N. A cette époque déjà, les associations qui participaient à ces « congrès » défendaient une conception ethnique de la nation fondée sur le racisme biologique. L’objectif pour les « congrès » consistait essentiellement à regrouper dans un Reich grand-allemand les minorités allemandes que les traités de Versailles, St Germain et Trianon avaient enlevées au IIe Reich et à l’Autriche-Hongrie en 1918-1920. En d’autres termes, il s’agissait de réviser les frontières des états européens au seul profit de l’Allemagne. Pour autant les « minorités nationales » de France n’étaient pas oubliées : Alsaciens, Basques, Bretons, Corses et Flamands faisaient l’objet d’une extrême sollicitude de la part de ces « congrès »3. Aussi n’est-il guère étonnant de constater que les militants des « Nationalitäten-Kongresse », regroupés autour de leur organe mensuel officiel « Nation und Staat  » (Nation et Etat), ont fait cause commune avec le régime nazi.
Pour bien marquer la continuité idéologique avec le passé, la F.U.E.V., elle-même portée sur les fonts baptismaux à Versailles (!) en 1949, a décidé symboliquement de poursuivre pour sa nouvelle revue officielle Europa Ethnica (tout un programme !) la numérotation de sa devancière Nation und Staat qui avait dû interrompre sa parution en 1944 pour des raisons que l’on devine aisément, les deux publications ayant le même éditeur : les Editions Braunmüller, à Vienne (Autriche).
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Jean-Sébastien Pierre
Tels sont les principaux rédacteurs de la Charte. Il se trouve que leurs intérêts, qui coïncidèrent jadis avec ceux du IIIème Reich, convergent aujourd’hui avec ceux d’une Union Européenne qui se veut « Europe des régions  ». Dans ce cadre, tout ce qui peut fragmenter les états-nations est bon.
La convention cadre pour la protection des minorités nationales. Strasbourg :

Le contenu de la charte

Fin août 1998, le congrès de Lomme de la Libre Pensée intitulé « Appel à tous les citoyens ; la République une, indivisible et laïque, est en danger  », lançait cet avertissement : « Ceux qui dirigent la société sont passés maîtres dans l’art du double langage : pas d’idée, pas de concept exprimant la volonté d’émancipation des hommes des chaînes de l’oppression économique et idéologique – notamment religieuse – qui l’accablent, qui n’aient été dévoyés et détournés de leur sens pour duper le peuple et faire passer pour libérateur ce qui est en fait oppressif et obscurantiste. »
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vue de la salle
Tel en est-il de la charte, qui se présente comme un texte de liberté. Puisqu’il faut nous répéter, répétons-nous. Le texte de la charte n’a pas changé, notre position sur ce texte non plus. Rappelons ses principales caractéristiques.

Il faut signer au moins 35 paragraphes parmi ses 23 articles.

Proposée comme « traité européen », elle se compose de 23 articles et quatre-vingt-quinze paragraphes. Pour en être signataire, un état membre doit ratifier au moins trente-cinq paragraphes, soit un peu plus du tiers. Cette modération apparente, cette volonté de souplesse ont conduit divers exégètes et commentateurs, notamment dans le gouvernement de l’époque, à évoquer la possibilité rassurante d’une signature a minima du document. C’est la démarche qui est reprise aujourd’hui. Cette attitude permettrait, selon eux, de ne signer que ce qui est conforme à la constitution française voire à ratifier ce qui se fait déjà dans le domaine éducatif et culturel au titre de la loi Deixonne par exemple. Selon cette lecture des obligations entraînées par la ratification, en fait « cela ne mangerait pas de pain ». Si l’on essaie de choisir les 35 paragraphes définis ainsi comme anodins, nous entrons dans un gymkhana juridique où se découvre la véritable structure du document. En effet, il ne s’agit pas de signer trente-cinq paragraphes au hasard. Il y a comme on dit des « figures imposées ». Quelles sont-elles ?
D’abord, les parties I et II sont à prendre en bloc. Elles ne se discutent pas, il n’y a pas de choix. Les trente-cinq paragraphes doivent être choisis dans la partie III. La partie I comporte des dispositions générales et la partie II les objectifs et principes poursuivis. La ratification de la charte implique donc l’adhésion pleine et entière aux dispositions générales, objectifs et principes. Quels sont-ils ?
Tout d’abord, la charte exclut explicitement les dialectes de la langue officielle de l’Etat et les langues des migrants (l’arabe, le turc, le portugais, les langues de l’Est,…). L’article 2 de la partie I précise explicitement que tout signataire s’engage à appliquer les dispositions de la partie II. Il précise que les trente-cinq paragraphes ou alinéas choisis parmi les dispositions de la partie III doivent comporter au moins trois alinéas dans chacun des articles 8 et 12 et un dans chacun des articles 9, 10, 11 et 13.
Que sont ces articles ?
  • Article 8 : enseignement
  • Article 12 : activités et équipements culturels
  • Article 9 : justice
  • Article 10 : autorités administratives et services publics
  • Article 11 : medias
  • Article 13 : vie économique et sociale
Ils recouvrent donc toutes les institutions de l’Etat à l’exception des forces armées. Nous détaillerons un peu plus tard, mais d’abord, examinons de plus près la partie II, à savoir les objectifs et principes.
Article 7 titre 1 :«  les parties fondent leur politique, leur législation et leurs principes sur [] « le respect de l’aire géographique de chaque langue régionale ou minoritaire, en faisant en sorte que les divisions administratives existant déjà ou nouvelles ne constituent pas un obstacle à la promotion de cette langue régionale ou minoritaire. » Il s’agit d’une invitation au découpage linguistique du territoire, voire à l’adaptation des divisions administratives au fait linguistique. La relation avec l’Europe des régions, pays, terroirs est patente.
Paragraphe d : « la facilitation et/ou l’encouragement de l’usage oral et écrit des langues régionales ou minoritaires dans la vie publique et dans la vie privée ». Intrusion du particularisme linguistique dans la vie publique et… ingérence dans la vie privée des citoyens !
Article 7 titre 2 : « […] L’adoption de mesures spéciales en faveur des langues régionales ou minoritaires, destinées à promouvoir une égalité entre les locuteurs de ces langues et le reste de la population ou visant à tenir compte de leurs situations particulières, n’est pas considérée comme un acte de discrimination envers les locuteurs des langues plus répandues. »
Voilà qui serait une grande nouveauté dans la juridiction française : la définition d’une opinion officielle, ce qui ouvrirait la voie au délit d’opinion pour tout citoyen français qui estimerait discriminatoire, par exemple, la diffusion généralisée d’émissions de télévision dans une langue régionale.
Rappelons-le : tout cela n’est pas optionnel. Tout état contractant adhère à ces principes généraux définis dans les deux premières parties. Tout au plus un état peut-il assortir sa signature de réserves sur les paragraphes 2 à 5 de l’article 7. Le seul fait de ratifier la charte instaure donc bien le principe d’une société basée sur le multilinguisme, sur une base territoriale et communautaire. Le principe d’unicité de la république, les fondements du droit républicain sont bel et bien menacés.
Venons-en aux articles 8 et 12 dans chacun desquels, rappelons-le, trois paragraphes ou alinéas doivent être adoptés. Pour l’article 8, c’est très simple. Si on laisse de côté les quatre derniers alinéas qui définissent les modalités d’application des précédents, il reste à en adopter trois parmi six qui définissent six niveaux d’enseignement, de la maternelle au supérieur sans oublier la formation permanente. Il s’agit d’organiser dans chaque niveau un enseignement dans la langue régionale ou minoritaire. Le choix réel consiste donc à déterminer les trois niveaux dans lesquels cet enseignement pourra être organisé. Des sous alinéas instituent dans chaque niveau un système d’enchères à l’américaine.
Prenons l’exemple de l’enseignement primaire (alinéa b) : « […] les parties s’engagent […]
I à prévoir un enseignement primaire assuré dans les langues régionales ou minoritaires concernées ; ou
II à prévoir qu’une partie substantielle de l’enseignement primaire soit assurée dans les langues régionales ou minoritaires concernées ; ou
III à prévoir, dans le cadre de l’éducation primaire, que l’enseignement des langues régionales ou minoritaires concernées fasse partie intégrante du curriculum ; ou
IV à appliquer l’une des mesures visées sous i à iii ci-dessus au moins aux élèves dont les familles le souhaitent et dont le nombre est jugé suffisant ; »
Tous les autres sont construits sous le même modèle dégressif. Même en choisissant la dernière option, la plus « légère », on s’engage à mettre en place un enseignement public dans une langue régionale ou minoritaire, éventuellement pour des communautés particulières sur la base – arbitraire – d’un nombre « suffisant » de demandeurs.
L’article 12 traitant des activités et équipements culturels, impose d’opter pour trois mesures de promotion des œuvres écrites ou réalisées dans les langues visées par la charte au moyen de traductions, doublages, post-synchronisations et sous-titrages dont on peut imaginer le coût. Il s’agit de financement public de la sphère privée.
Les articles 9, 10, 11 et 13 dans lesquels au moins un paragraphe ou alinéa doit être signé, contiennent également des dispositions dangereuses pour la lettre et l’esprit d’une législation républicaine. Pour ne pas allonger cet exposé, je me limiterai à citer un exemple pour chaque article :
« Article 9 – justice : Les Parties s’engagent […]c : à ne pas refuser la validité, entre les parties, des actes juridiques établis dans l’Etat du seul fait qu’ils sont rédigés dans une langue régionale ou minoritaire. »
« Article 10 - Autorités administratives et services publics : Les Parties s’engagent à prendre une ou plusieurs des mesures suivantes : […]c : la satisfaction, dans la mesure du possible, des demandes des agents publics connaissant une langue régionale ou minoritaire d’être affectés dans le territoire sur lequel cette langue est pratiquée. »
C’est ce que le Conseil régional de Corse a tenté de mettre en place dernièrement, c’est la politique que le Conseil Régional de Bretagne avait également tenté de promouvoir à propos des chèques-emploi dès l’année 2000. Cet article est particulièrement dangereux puisqu’il instaure la « préférence régionale » contre le statut de la Fonction publique. La loi votée en janvier 2014 par l’Assemblée nationale oppose un article interprétatif à cette disposition, nous verrons ultérieurement ce que cela vaut.
« Article 11 - Médias
A) dans la mesure où la radio et la télévision ont une mission de service public : iii à prendre les dispositions appropriées pour que les diffuseurs programment des émissions dans les langues régionales ou minoritaires ; »
« Article 13 - Vie économique et sociale : les Parties s’engagent, pour l’ensemble du pays : b dans les secteurs économiques et sociaux relevant directement de leur contrôle (secteur public), à réaliser des actions encourageant l’emploi des langues régionales ou minoritaires ». L’énumération se suffit à elle-même. Nous sommes obligés de conclure que tout choix de trente-cinq articles ou alinéas respectant les spécifications de la partie II nous entraîne vers un changement de société : vers une société communautariste pluriculturelle où l’égalité des droits de tout citoyen devant la loi est, de fait, abolie, où le territoire est l’objet d’une nouvelle subdivision administrative sur une base linguistique, pourquoi pas ethnique. Cela fait froid dans le dos.
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Décidément, pas plus aujourd’hui qu’hier la charte n’est acceptable, et on voit à quel point il s’agit peu de promotion culturelle. Il s’agit bien de territorialisation et d’ethnicisation dans un Etat-nation qui, dans son histoire républicaine, a réalisé son unité linguistique. Il s’agit bel et bien de la défaire, au profit des différenciations régionales. Venons-en maintenant au débat de 2014

Les prises de position en 2014

Le débat à l’Assemblée Nationale : Le 10 décembre 2013 venait en débat à l’Assemblée Nationale, le projet de loi constitutionnelle n°1618, présentée par Bruno Le Roux et les membres du groupe socialiste, républicain et citoyen (SRC). Le projet de loi se réduit à un article unique : la possibilité de ratifier la charte, il est précédé d’un exposé des motifs très long et très agressif contre le Conseil d’Etat et le Conseil Constitutionnel. Nous y reviendrons un peu plus tard.

Le rapporteur de la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas, député PS du Finistère, prononce une très longue harangue parlant, dans l’abstrait, du sort – selon lui défavorable, fait aux langues locales en France. Cela lui permet de ne pas analyser la charte.
Sur son blog, un des derniers articles s’intitule : Faut-il réviser la constitution pour supprimer les départements ? Oui, conclut-il mais il existe des biais pour le faire sans révision : « la naissance de l’Assemblée de Bretagne que je prône et qui verrait la disparition des Conseils généraux bretons et du Conseil régional de Bretagne pour permettre la naissance concomitante d’une collectivité unique ne nécessite pas de modification de la Constitution. » Ah le brave homme ! Socialiste ? Républicain ? Ou autonomiste ? On peut se poser la question comme pour notre ministre des armées, longtemps président du Conseil Régional de Bretagne, Jean-Yves Le Drian, qui voulait nous fabriquer la fête « nationale » (si, si !) de la Bretagne sous le nom de Saint-Yves sur le modèle de la Saint Patrick irlandaise. Comme tout cela se rejoint !
Madame Aurélie Filipetti, ministre de la Culture, intervient ainsi : « La ratification de la Charte n’a nullement vocation à faire tomber nos principes constitutionnels les plus sacrés, contenus dans les premiers articles de la Constitution, fruits de notre histoire républicaine. Il ne s’agit en aucune manière de porter atteinte à l’égalité des citoyens devant la loi, ni d’ouvrir des droits nouveaux à tel ou tel groupe sur des territoires déterminés. Les langues régionales sont le patrimoine indivis de la nation tout entière. Il s’agit plus simplement de reconnaître la pluralité linguistique interne de notre pays et d’en permettre l’expression en donnant aux langues régionales les moyens d’exister. » Elle ment, ou travestit la réalité. Nous avons démontré le contraire plus haut.
Il est évidemment douloureux de voir les principes républicains rappelés seulement par un homme politique dont nous avons peu de raison de louer l’action, lui qui fut l’éminence grise de Nicolas Sarkozy, je veux parler d’Henri Guaino, qui, soutenant une motion de rejet préalable à la ratification déclarait :« Vous connaissez, madame la ministre, monsieur le président de la Commission des lois, mes chers collègues, la teneur de cet avis [NDA : du conseil constitutionnel] qui a conduit le Président de laRépublique à suspendre le processus de ratification : « La Charte Européenne des langues régionales ou minoritaires, en ce qu’elle confère des droits spécifiques à des « groupes » de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de « territoires » dans lesquels ces langues sont pratiquées, porte atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français ; elle est également contraire au premier alinéa de l’article 2 de la Constitution en ce qu’elle tend à reconnaître un droit à pratiquer une autre langue que le français non seulement dans la « vie privée » mais également dans la « vie publique », à laquelle la Charte rattache la justice et les autorités administratives et services publics ».
Après le « monde comme si » de notre amie Françoise Morvan, voici le monde à l’envers dans l’hémicycle. Le PS bradant honteusement la République en camouflant hypocritement le contenu du texte dont il demande la ratification, et le représentant UMP prononçant la seule note discordante sur le terrain de son réel contenu, et de la nécessité par conséquent de refuser sa ratification. Sur ce terrain, Guaino a raison. Le vote qui suivit est une honte historique. Ce n’est qu’une préparation à l’accentuation et à l’aggravation de l’acte III de la décentralisation, un prélude à la balkanisation et à la fragmentation communautariste du territoire, en faisant, au passage, disparaître les départements. C’est bien la ligned’Urvoas et de de Madame Filipetti, c’est une infamie. C’est cette infamie que les citoyens alsaciens ont rejetée lors du « referendum » organisé dans le Haut et le Bas-Rhin.
Henri Guaino, saisissant l’occasion d’une chausse trappe au gouvernement, ajoute par ailleurs : « Lors de la campagne pour l’élection présidentielle, l’actuel Président de la République a pris l’engagement de ratifier la Charte en modifiant la Constitution. Conformément à cet engagement, le Gouvernement a engagé une réflexion sur les modalités de cette révision constitutionnelle. Il a notamment installé, le 6 mars 2013, un comité consultatif pour la promotion des langues régionales et de la pluralité linguistique interne, et consulté par ailleurs le Conseil d’État. La conclusion que le Gouvernement a tirée de cette réflexion et de ces consultations, Mme la ministre de la Culture l’a résumée elle-même, de la façon la plus claire, lors de son audition par le Conseil consultatif, le 9 octobre 2013.
Je cite le compte rendu officiel : « Le Comité consultatif a été conçu, au départ, avec un objectif : trouver un moyen de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Les réflexions conduites ont abouti à un constat : la ratification s’avère impossible. Comme il est impossible de modifier la Constitution sans introduire une incohérence majeure en son sein, le processus de ratification de la Charte est donc définitivement abandonné. » Voilà quel était alors le point de vue du Gouvernement – je dis bien « du Gouvernement ». Vous avez bien entendu, mes chers collègues : « Comme il est impossible de modifier la Constitution sans introduire une incohérence majeure en son sein, le processus de ratification est donc définitivement abandonné  ». Cette position raisonnable et raisonnée du Gouvernement est apparue insupportable à ceux qui attendaient – je cite l’exposé des motifs du projet de loi qui nous est soumis – la chute de « la Bastille du monolinguisme d’État  ». Les mots ne sont pas choisis par hasard. »
Encore hélas, c’est vrai. L’exposé du motif du projet de loi comporte bien cette expression : la chute de la Bastille du monolinguisme d’État. « Le candidat François Hollande nous l’avait promis, il allait faire ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, dans le prolongement du processus initié par Lionel Jospin en 1999 et brutalement interrompu par Jacques Chirac. Oui, nous croyions que la Bastille du monolinguisme d’État allait enfin tomber, comme elle l’a fait partout en Europe, sous les coups de boutoir de nos aspirations enfin satisfaites à la justice et à la dignité ».
Honte à ses rédacteurs.
On peut se souvenir d’ailleurs qu’Henri Guaino avait appelé à voter non au référendum de 2005. On ne peut lui nier une certaine cohérence. Cela dit, cette protestation de l’opposition est restée strictement circonscrite à l’hémicycle. Le 17 janvier 2014 à 17h30, la loi était votée par l’assemblée par 361 pour et 149 contre. Dans les explications de vote : ont voté pour, le groupe socialiste, le groupe écologiste, le groupe RRDP (radicaux et autres), le GDR (gauche démocrate et républicaine, communistes), le groupe UDI (UDF et apparentés). L’UMP a voté contre.
On ne manquera pas de nous dire que nous sommes en collusion avec la droite UMP. La technique de l’amalgame a ses limites. L’unité nationale qui s’est réalisée autour de la charte, est elle-même, comme on peut le constater, sans rivages à droite. Mais, comment l’article unique de la loi est-il rédigé ?
Article unique
Après l’article 53-2 de la Constitution, il est inséré un article 53-3 ainsi rédigé :
« Art. 53-3. – La République peut ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires adoptée à Strasbourg le 5 novembre 1992, signée le 7 mai 1999, complétée par la déclaration interprétative exposant que :
« 1. L’emploi du terme de “groupes” de locuteurs dans la partie II de la charte ne conférant pas de droits collectifs pour les locuteurs des langues régionales ou minoritaires, le Gouvernement de la République interprète la charte dans un sens compatible avec la Constitution, qui assure l’égalité de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ;
« 2. Le d du 1§ de l’article 7 et les articles 9 et 10 de la charte posent un principe général n’allant pas à l’encontre de l’article 2 de la Constitution, en application duquel l’usage du français s’impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public, ainsi qu’aux usagers dans leurs relations avec les administrations et services publics. »
Ces deux restrictions mentales, qui, il faut le reconnaître, suffisent à faire hurler les groupes autonomistes bretons, alsaciens, corses et autres, sont pure hypocrisie uniquement destinées à obtenir les 3/5 des assemblées composant le Parlement. Une fois la charte ratifiée, elle est ratifiée. Contrairement aux arguties développées en et 2, ces interprétations ne tiennent pas. Comme nous l’avons vu, la partie II, très précise, exclut cette interprétation. Les articles 7, 9 et 10 dans leur forme la plus minimale, sont très précis et imposent le droit d’usage des langues régionales dans la vie administrative, les medias, l’éducation. Elles ouvrent au contraire une situation de dualité juridique parfaitement dangereuse, ouvrant la voie à la construction d’une jurisprudence par les lobbys intéressés. Voilà encore une nouveauté : l’hypocrisie dans une loi constitutionnelle !

Partis et personnalités

On ne peut pas dire que ce vote, de quelque importance tout de même, ait déchaîné des flots de commentaires et de prises de position. L’évènement a tout de même fortement divisé le Front de Gauche, puisque le PCF a confirmé son soutien à la loi, tandis que Jean-luc Mélanchon s’y est opposé et a écrit à tous les députés en ce sens, avec des arguments très voisins de ceux que j’ai développés ici. Soulignons également deux prises de position importantes dans les media : Françoise Morvan, professeur de breton et traductrice, dans une interview à Mediapart a livré une analyse parfaitement exacte de la signification de cette loi. Nous avons entendu la contribution qu’elle a envoyée à notre assemblée. Dans Marianne, Madame Le Pourhiet, juriste et spécialiste du droit constitutionnel a publié un article intitulé ’Le front anti-républicain’, une analyse que nous partageons. Je salue évidemment les prises de positions des personnes et organisations présentes à cette tribune, Le Comité-Laïcité-République, le Conseil National des Associations Familiales Laïquesl’Union rationaliste, l’association Laïcité-Liberté, leMouvement Europe et Laïcité (CAEDEL), le COURRIEL, et notre camarade syndicaliste et Libre Penseur Jean-Noël Lahoz, et bien sûr notre secrétaire général David Gozlan. Nous les entendrons dans quelques instants développer leur position

Mais qui revendique la ratification de cette charte ?

Evidemment, ce sont tous les activistes séparatistes, nationalistes viscéralement antirépublicains que nous connaissons. Il est clair que le ’mouvement des bonnets rouges’, fort composite, a pesé lourdement sur la décision du gouvernement, ainsi que les Conseils Régionaux de Bretagne et de Corse, fortement engagés dans leur conception particulièrement destructrice de la décentralisation. Il n’y a aucun mouvement populaire pour la ratification de cette charte. Le gouvernement a obéi, dans toute cette affaire, à une constellation de manipulations.

En conclusion

Le gouvernement a décidé d’accéder aux revendications séparatistes et régionalistes des partisans de l’Europe des régions, du Saint-Empire-Romain-germanique des Länders. Sous couvert de la promotion de langues régionales qui ne sont nullement menacées, il s’agit de redessiner la carte du pays en créant des régions de toutes pièces avec des « langues » différentes.
Rappelons-le encore, aucune langue « minoritaire » qui ne se rattache pas à un « territoire » n’est concernée par la mise en œuvre de cette Charte européenne. Sont exclus : l’allemand, l’espagnol, l’italien, le portugais, l’arabe, le turc. Les travailleurs immigrés n’ont à en attendre aucune aide ni considération. Il ne s’agit que d’idiomes qui permettent de redécouper le territoire de la République, parfois avec des arrière-pensées pour des régions frontalières d’autres pays : Pays basque, Pyrénées orientales, et même l’Alsace.
C’est la mise en œuvre de l’Europe des régions sur le cadavre des États-nations. Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation, revendique que l’Acte III de la décentralisation donne le pouvoir réglementaire aux régions et futures régions en cas de redécoupage. C’est-à-dire la capacité d’édicter des lois, décrets et circulaires différents d’une région à une autre. Cela serait la fin de l’égalité en droit des citoyens
Cela serait la fin de la République une, indivisible, démocratique, laïque et sociale ! Ce texte ne doit pas être ratifié, avec ou sans déclaration interprétative. Pas plus aujourd’hui qu’hier ! Forgeons ensemble l’unité républicaine qui pourra mettre en échec cette forfaiture. Je vous remercie de votre attention.

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