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Vincent Lambert : Acharnement contentieux en faveur de l’acharnement thérapeutique


« La décision du Dr M. du 9 avril 2018 d’arrêter l’alimentation et l’hydratation artificielles de M. L. et d’assortir l’arrêt de ce traitement d’une sédation profonde et continue, [conformément à la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie],  ne peut, en conséquence, être tenue pour illégale. » C’est en ces termes que s’achève la motivation de l’ordonnance du 24 avril 2019 (1) par laquelle le juge des référés du Conseil d’État a rejeté les conclusions des parents de M. Vincent Lambert tendant à faire suspendre cette décision et à ordonner le transfert de leur fils dans un autre établissement que le centre hospitalier universitaire (CHU) de Reims, ou, à défaut, dans un autre service que celui des soins palliatifs du CHU.

Aveuglée par ses convictions religieuses, la mère de M. Vincent Lambert mène une croisade au long cours contre toute possibilité de mettre un terme aux souffrances de son fils, victime d’un grave accident de la circulation, le 28 septembre 2008. Depuis lors dans un état végétatif chronique irréversible, l’intéressé, infirmier de métier, avait clairement manifesté avant cet accident, auprès de son épouse et d’un neveu notamment, le désir d’échapper aux actes médicaux constituant « une obstination déraisonnable ». Compte tenu de son état de santé et de ses intentions librement exprimées avant les séquelles de son traumatisme, un premier chef de service avait décidé, le 11 janvier 2014, d’interrompre la nutrition et l’hydratation artificielles de M. Vincent Lambert après avoir engagé la procédure collégiale prévue à l’article R. 4127-37 du Code de la santé publique, conformément à la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et de la fin de vie alors en vigueur. 

Si Mme Lambert a obtenu du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, le 16 janvier 2014, la suspension de l’exécution de cette décision, en revanche, le Conseil d’État a rejeté sa demande par un arrêt du 24 juin 2014 (2), rendu après consultation d’experts : l’Académie nationale de médecine et du Comité consultatif national d’éthique. Le 5 juin 2015, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a jugé, sur demande des consorts Lambert, que la mise en œuvre de l’arrêt du Conseil d’État du 24 juin 2014 n’entraînait aucune violation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales de 1950, notamment de son article 2, décision dont les intéressés ont demandé immédiatement la révision (3). 

Sur le fondement de ces deux arrêts, le 7 juillet 2015, le nouveau chef de service du CHU de Reims compétent a décidé d’engager la procédure collégiale conduisant à l’interruption de la nutrition et de l’hydratation artificielles de M. Vincent Lambert. Néanmoins, devant le déchirement de la famille Lambert, le 23 juillet suivant, l’hôpital a rendu public un communiqué annonçant la suspension de cette procédure. Au terme d’un nouveau parcours contentieux devant les juridictions administratives, le 19 juillet 2017, le Conseil d’État a jugéque les menaces alléguées par les consorts Lambert pour la sécurité de leur fils et de l’équipe soignante ne constituaient pas un motif légal justifiant l’interruption de la procédure engagée en vue d’évaluer si la poursuite de l’alimentation et de l’hydratation artificielles de M. Vincent Lambert devaient être regardées comme une obstination déraisonnable (4). Il a donc à nouveau rejeté le recours des intéressés.

Sur le fondement de ce deuxième arrêt du Conseil, après toutes les consultations d’usage, un troisième médecin responsable du service où est pris en charge M. Vincent Lambert a entrepris, le 17 avril 2018, de mener à son terme l’interruption de la nutrition et de l’hydratation artificielles de l’intéressé, assorties d’une sédation profonde et continue, conformément à la loi  du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. Las, les consorts Lambert, égarés dans le brouillard épais d’un obscurantisme profond, ont à nouveau encombré les prétoires de la justice administrative, en dépit de leurs échecs précédents. Au terme d’un troisième parcours contentieux, le juge des référés du Conseil d’État, tenant compte du cadre juridique introduit par la loi du 2 février 2016, les a déboutés de leurs prétentions, une fois de plus.

Néanmoins, les parents Lambert s’apprêteraient à saisir encore la CEDH. Un tel acharnement contentieux contre l’interdiction de l’acharnement thérapeutique confine à l’obstruction à l’application de la loi, par le truchement de recours dilatoires. Pendant une période interminable pour lui, son épouse et son neveu, M. Vincent Lambert devra sans doute demeurer dans cet état végétatif chronique irréversible, dans lequel il refusait de se trouver un jour. 

Le cas de M. Vincent Lambert met en évidence les graves imperfections de la loi du 22 avril 2005, puis de celle du 2 février 2016 qui l’a remplacée. La liberté de conscience des malades reste entravée : elle est subordonnée à la décision des médecins qui, lorsqu’elle est positive, est toujours susceptible de recours de la part de ceux qui ont un intérêt à agir, notamment des proches. Seule une loi conférant au malade, et à lui uniquement, ou à celui ou celle qu’il aura désigné comme personne de confiance dans l’hypothèse où il ne serait pas en état de formuler un consentement éclairé, permettrait d’accéder réellement au droit à une aide à mourir lorsque les soins s’avèrent impuissants à guérir une maladie incurable et à soulager une souffrance physique ou psychique insupportable.

La Fédération nationale de la Libre Pensée soutien totalement l’action de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD) dans cette exigence législative commune.

Avec la Libre Pensée et l’ADMD : exigez une loi créant un véritable droit à l’aide à mourir ! 

Paris, le 29 avril 2019

 

(1) Conseil d’État, 24 avril 2019, ordonnance n° 428117

(2) CE, 24 juin 2014, Mme F…I…et autres, n° 375081, 375090, 375091

(3) CEDH, 5 juin 2015, n° 46043/14.

(4) CE, 19 juillet 2017, n° 402472 et 403377.

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